La majorité des Contract Managers le savent, sur un marché à forts enjeux, il est primordial d’aligner les intérêts des sous-traitants avec ceux de l’Entrepreneur Principal (Contractor) afin d’éviter que ce-dernier ne se retrouve coincé entre le marteau et l’enclume.
Auteur: Marine Maffre Maucour, Directrice des Opérations à Paris.
Article initialement publié par l'Association Française du Contract Management, présenté ici.
Qui a abordé les grands projets internationaux au travers de missions post-mortem/forensic dans le cadre de différends, connait l’importance que revêt la documentation projet disponible émanant des sous-traitants et autres tiers. La matérialité des faits relatés dans les correspondances ou les comptes-rendus de réunions entre entreprise principale et client final se vérifie souvent en plongeant jusqu’à la teneur des échanges entre entreprise principale et sous-traitants.
Les équipes d’analystes qui travaillent aux côtés des experts forensic (Techniques, Retard ou Quantum) cherchent pour cela à recouper les informations échangées au niveau du contrat principal avec la documentation contemporaine produite en marge de celui-ci, par des acteurs tiers ou de rangs inférieurs. L’objectif étant bien sûr de suivre leurs apports et leurs difficultés qui viendront étayer les faits mis en avant par le Contractor.
Dans quelle mesure le Contractor peut-il faire peser ses besoins en termes de pilotage de projet sur ses sous-traitants et fournisseurs et le cas échéant cela contribue-t-il à la défense de ses intérêts en cas de différend ?
La réponse à la deuxième partie de cette question est assurément « oui » mais voyons plutôt quels sont les leviers dont peut user le Contractor pour répercuter ses besoins à ses sous-traitants.
1er levier : l’allocation des risques
Maillons de la chaîne de réalisation, les fournisseurs et sous-traitants occupent une place prépondérante. Qu’ils soient substituables ou au contraire incontournables, le Contractor doit avoir une connaissance approfondie de ses prestataires et les intégrer pleinement à sa gestion des risques.
Pour le Contractor, appréhender les enjeux propres à cette chaîne d’exécutants ne sera possible que s’il maîtrise à la fois les objectifs, mais aussi les risques et opportunités du projet qu’il s’engage à mener à bien. Il convient d’identifier en amont les événements ou conditions qui, s'ils se réalisent, affecteront les objectifs du projet en termes de contenu, de coûts, de retards, de performance, ou de niveau de qualite.1
« Le sous-traitant hérite de risques que le Contractor
est souvent lui-même poussé à assumer par son Client. »
C’est sur cette base que le Contractor peut tenter de négocier des allocations de risques pertinentes pour chaque partie prenante. Il prendra soin que ces risques soient dûment attribués à la partie la mieux préparée à y faire face. Cette attribution des risques doit être effectuée au plus tôt de l’histoire du projet, si possible avant même la signature du contrat principal.
En effet, le sous-traitant hérite de risques que le Contractor est souvent lui-même poussé à assumer par son Client. Ces rapports de force peuvent avoir pour effet de limiter les marges de manœuvre du Contractor. C’est le cas si le Client impose un sous-traitant ou une clause de contenu local (local content). C’est également le cas si certains critères spécifiques sont imposés par le Client de façon à orienter ou à réduire les possibilités de choix du Contractor.
2ème levier : la stratégie Achats
Le Contractor peut adresser ces enjeux en amont du projet par la mise en place d’une stratégie Achats qui tienne compte des spécificités du marché et des contraintes afférentes. Le processus de qualification doit évidemment permettre d’examiner les bilans et comptes de résultats de l’entreprise pressenties. Ses compétences et expériences préalables dans les travaux sous-traités ou les sous-ensembles achetés doivent être attentivement évaluées. La connaissance du marché et du contexte local a également une importance mais peut être à double tranchant, en particulier si une relation préexiste entre le sous-traitant et le Client.
Idéalement l’analyse approfondira également les motivations du sous-traitant ou du fournisseur : quel sont ses intérêts à participer ? Quelle réponse apporte ce projet à cette entreprise en termes de motivations financières, réputationnelle ou technique ? A contrario quels défis s’apprête-t-elle à relever ? Taille du projet ? Nouveau lieu de réalisation ? Première technique ? Quelle est sa culture commerciale et son rapport au contentieux ? etc.
En cas de manquement ou de défaillance d’un sous-traitant ou fournisseur, le Contractor en assume pleinement la responsabilité. Aussi, contractualiser de façon adéquate consiste en partie à « dé-risquer » le projet en appliquant les clauses du contrat principal à ceux signés avec ces acteurs.
3ème levier : les clauses contractuelles
La matérialisation de l’allocation des risques évoquée précédemment doit se faire au travers des clauses contractuelles bien sûr. Arrêtons-nous sur le principe du back-to-back qui permet d’établir cette cascade des droits et obligations entre le contrat principal et un contrat de sous-traitance.
« Les sous-traitants sont parfois peu enclins au back-to-back
du fait que les risques qu’il leur affecte sont parfois jugés déséquilibrés
en relation à la taille de leur contrat et au prix qui les rémunère. »
A minima on recommande que cette répercussion porte sur les clauses de délais d’exécution, de révisions des prix, de pénalités. Les clauses liées à la réception, en particulier si les sous-traitants ou fournisseurs jouent un rôle prépondérant dans l’atteinte des performances fixées au contrat, sont également éligibles à ce type de mécanismes. Il est également classiquement conseillé de répercuter des délais de forclusion compatibles avec ceux auxquels le Contractor est soumis au titre du contrat principal. Le Contractor doit aussi veiller à ce que derrière chaque enjeu, en termes de surveillance, de coordination, d’interfaces un mécanisme contractuel approprié soit mis en place dans le sous-contrat.
Les sous-traitants sont parfois peu enclins au back-to-back du fait que les risques qu’il leur affecte sont parfois jugés déséquilibrés en relation à la taille de leur contrat et au prix qui les rémunère. Réassigner des responsabilités au sous-traitant ou fournisseur s’avère donc un exercice difficile, d’autant plus que la position sur le marché de celui-ci sera déjà confortée par ailleurs.
Au-delà du principe back-to-back, les clauses de traitement des variations et des disputes entre Contractor et sous-traitants ou fournisseurs doivent faire l’objet d’une attention toute particulière. Car au bout du compte, le Contractor assume entièrement les manquements des uns et des autres devant son Client. Quelle stratégie adopter en cas de réclamation du sous-traitant ou fournisseur ? Payer au risque de ne pas être payé ? Tenter une négociation avec le client en arguant d’un préjudice futur ?
Certains formats de contrats offrent une cadre à ces problématiques. Par exemple, dans la collection des contrats FIDIC, le « Conditions of Subcontract book » recherche l’équilibre entre responsabilisation du sous-traitant vis-à-vis du contrat principal (Yellow Book 19992) et exposition aux risques.
Exemple du Yellow Book Subcontract 2019 : principes clés participant d’une recherche d’équilibre, de justesse et de limitation de l’incertitude :
- Back-to-back : hors clauses clairement identifiées,
- Fit for purpose : alignement des objectifs de conformité attendus pour un contrat Conception Construction
- Pay when paid : payer lorsque l’on est payé au titre du contrat principal
- Alignement des exigences planning et reporting
- Alignement des notifications et délais de réponses avec mécanismes de forclusions
- Modalités d’assurances avec prise en charge par le Contractor ou le Client
- Prévention et Gestion des Différends
Un bon suivi de projet et une collaboration transparente avec le sous-traitant peut permettre de désamorcer certaines problématiques en amont et, le cas échéant, de répercuter directement les réclamations au Client final. Ce type de relation à livre ouvert (open book) participe sans aucun doute à la prévention des différends.
4ème levier : le développement d’une relation d’affaires dépassant la maille du projet
L’alignement des intérêts entre Contractor et sous-traitants peut se matérialiser dans une relation d’affaires qui dépasserait la maille du projet en jeu. Dans ce contexte, le développement d’accords-cadres peut se révéler être une réponse adéquate. L’avantage de tels accords est avant tout, pour le Contractor une façon de bénéficier de retours d’expérience de contrats préexistants et de REX projets. Ensuite, cela peut constituer un moyen de dynamiser le savoir-faire local et de pallier un potentiel manque de fournisseurs. Enfin, l’entrée au panel peut répondre à un besoin de sécuriser d’autres services à fournir par le sous-traitant ou le fournisseur localement par exemple en phase de maintenance ou encore permettre à celui-ci de dépasser des barrières à l’entrée. Aux yeux du Contractor, cela permet d’établir une relation de confiance sur le long terme, voire un partenariat ou encore de dynamiser la concurrence.
D’autres bonnes pratiques peuvent également permettre au Contractor de limiter le risque sous-traitant. On peut par exemple mettre en place des termes de paiements liés aux études si le sous-traitant a à sa charge une partie de la conception ou proposer un transfert de propriété d’une partie de l’ouvrage au fur et à mesure de sa réalisation ou encore prévoir une caution de bonne fin avec appel à première demande etc.
La stratégie commerciale adoptée dans la négociation de ces aspects nécessite un questionnement préalable sur la relation que le Contractor entretient ou souhaite entretenir avec ce partenaire.
L’opportunité de nouer un partenariat pérenne avec un sous-traitant doit également s’étudier en prenant en compte le risque contentieux. Le Contractor ne parviendra pas nécessairement à s’adjoindre ouvertement le soutien du sous-traitant ou fournisseur si l’activité de ce dernier dépend davantage du Client final que de sa relation avec le Contractor.
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Nous le voyons donc, le Contractor dispose d’un certain nombre de leviers sur lesquels il peut modeler la relation de travail avec ses sous-traitants et fournisseurs. Ce n’est qu’au prix de cet effort qu’il pourra in fine disposer de données contemporaines de projet pouvant être recoupées avec cohérence, au service ultime d’une défense de ses intérêts. Mais bien avant l’établissement d’une défense concernant un litige, ces données seront utiles : en cours de projet, pour le suivi de l’avancement et de la qualité ; dans le cas d’un contrat re-mesurable où elles seront la base des situations de travaux et des paiements ; en cas de variation ou de réclamation la compilation régulière de ces données lui permettra de justifier ses demandes. Il est donc primordial pour le Contractor d’obtenir des sous-traitants et fournisseurs une retranscription régulière de leurs activités sur site pour qu’il puisse diligemment piloter son projet.
Gardons à l’esprit que les bonnes pratiques de gestion de projet doivent néanmoins s’adapter aux moyens du sous-traitant ou du fournisseur. Le Contractor ne pourra pas raisonnablement attendre d’une petite PME la mise en œuvre d’un PMO (Project Management Office) pour répondre à des exigences de reporting équivalentes à celles dues au Client au titre du contrat principal. Il convient donc ici de trouver le bon équilibre.
Le poids de la responsabilité de la chaîne de sous-traitance face au client final devrait suffire à convaincre tout Contractor d’allier à sa gestion de projet les sous-traitants et fournisseurs, et de ne pas trop vite considérer que l’allotissement d’un périmètre de travail donné constitue la réponse principale à la gestion d’un grand projet complexe. Et comme dans bien des cas en matière de gestion contractuelle, beaucoup de choses se jouent avant même que la partie ne débute.
2 A noter que ce contrat de sous-traitance ne convient pas pour une utilisation avec l’Edition 2017 du Livre jaune.